- 8 oct. 2021
- Par Laurent Mucchielli
- Blog : Le blog de Laurent Mucchielli
Or, d’un point de vue tant éthique que juridique, nul ne peut être obligé de se soumettre à une expérimentation médicale en l’absence d’un consentement libre et éclairé.
Épisode 65
Par Alessandro A. NEGRONI, chercheur et professeur de philosophie du droit à l’Université de Genève, auteur notamment de La libertà di (non) vaccinarsi (Vicolo del Pavone, 2021).
* * *
L’expérimentation médicale revêt plusieurs formes, sans qu’il soit toujours possible de tracer une ligne de séparation nette et précise entre ses différentes formes et sans considérer le fait que l’expérimentation médicale n’est pas nécessairement conduite sur les êtres humains. Il existe en effet des expérimentations médicales conduites sur les animaux ou en laboratoire sans aucun cobaye), même si nous ne discutons ici que de l’expérimentation médicale sur les êtres humains (1).
Ainsi, par exemple, une distinction importante à faire lorsque l’on parle d’expérimentation médicale est celle entre expérimentation « thérapeutique » et expérimentation « non thérapeutique » (ou « pure »). L’expérimentation thérapeutique est conduite sur un individu malade et a pour but d’être bénéfique pour la santé dudit individu. L’expérimentation non thérapeutique est conduite sur un individu sain et a pour seul objectif la recherche (2).
Cette distinction est toutefois moins nette qu’il n’y paraît. Une expérimentation thérapeutique a malgré tout un objectif de recherche et on ne peut pas exclure en outre qu’une expérimentation non thérapeutique puisse être bénéfique (ne fusse qu’indirectement) aux individus qui s’y sont soumis, augmentant ainsi le patrimoine de connaissances de la médecine.
Lorsque nous conduisons une forme quelconque d’expérimentation, nous nous exposons au risque d’un dommage dont nous ignorons la nature et l’ampleur car l’expérimentation est par définition une activité que nous commençons sans en connaître les effets sur nous-mêmes, sur les autres êtres humains, sur les animaux ou sur l’environnement (3).
L’expérimentation médicale sur les êtres humains, en tant qu’elle est accomplie dans le but de vérifier les effets, l’efficacité et la sécurité d’un traitement sanitaire pour la santé humaine (sans en connaître a priori le résultat), expose le sujet humain de l’expérimentation à un risque pour sa santé que nous ignorons encore. Le « traitement » en question pouvant être, par exemple, un médicament précis, une technique médicale particulière ou, à la limite, l’absence d’intervention sur un patient.
L’expérimentation médicale sur les êtres humains se caractérise donc par l’exposition du sujet de l’expérimentation à un risque inconnu pour sa santé et certains estiment que le consentement de ce sujet soumis à l’expérimentation médicale représente sa « libre acceptation à se soumettre à une activité risquée » (4). En d’autres termes, la présence d’un risque inconnu pour la santé peut être considérée comme un « signe » caractéristique de l’expérimentation médicale sur les êtres humains ainsi que ce qui permet de distinguer l’expérimentation médicale (thérapeutique ou non) des autres interventions médicales où le patient est soumis au meilleur traitement disponible consolidé (5).
Ce n’est pas un hasard si, historiquement (depuis le Code de Nuremberg), comme l’observent entre autres Ruth Faden et Tom Beauchamp, la première et principale préoccupation morale et légale intéressant l’expérimentation médicale sur les êtres humains consiste à contrôler le « risque » pour la santé auquel le sujet humain de l’expérimentation est exposé (6).
Les vaccins génétiques anti-covid
A propos du vaccin anti-covid-19 de Pfizer-BioNTech (mais le même raisonnement s’applique aux autres vaccins anti-covid disponibles dans l’Union Européenne), nous devons observer que :
1) à long terme, les effets et les dommages du vaccin anti-covid-19 sur la santé ne sont ni connus ni prévisibles (comme l’indique d’ailleurs le point 10 du formulaire du consentement du ministère de la santé italien) ;
2) nous ignorons notamment le potentiel cancérigène, la génotoxicité et la capacité de compromettre la fertilité masculine de ce vaccin. A la page 12 de la fiche Product Information de l’Agence européenne des médicaments relative au vaccin anti-covid-19 de la Pfizer-BioNtech, il est rappelé que « Neither genotoxicity nor carcinogenicity studies were performed » (« aucune étude de génotoxicité ou de cancérogénicité n’a été réalisée »). Et, de façon similaire, à la page 15 du Package Insert de la U.S. Food and Drug Administration, on peut lire : « Comirnaty has not been evaluated for the potential to cause carcinogenicity, genotoxicity, or impairment of male fertility » (« Comirnaty n’a pas été évalué quant à son potentiel cancérigène, génotoxique ou d’altération de la fertilité masculine ») ;
3) le vaccin anti-covid-19 comporte un risque (inconnu) pour la santé car l’efficacité et la sécurité du vaccin ne sont pas connus sur la base d’études cliniques complètes et que des données supplémentaires sont nécessaires à ce sujet. Le vaccin anti-covid-19 a en effet reçu de l’Agence européenne des médicaments une « conditional marketing authorisation » (autorisation de mise sur le marché conditionnelle) accordée par définition en se fondant sur des données cliniques moins complètes que celles normalement exigées et en présence d’un risque inhérent au fait que des données supplémentaires sont encore nécessaires. La conditional marketing authorisation est utilisée lorsque les données présentées par le producteur du médicament ne sont pas assez solides et complètes pour justifier l’approbation standard et elle permet de renvoyer une partie de la production et de l’acquisition de preuves sur les bénéfices et les risques du médicament de la phase de pré-autorisation à la phase de post-autorisation. Un médicament soumis à une conditional marketing authorisation comporte des risques inconnus pour le patient auquel il est administré. Les retards fréquents dans l’obtention par l’Agence européenne des médicaments des données complètes sur les bénéfices et les risques du médicament ont une incidence négative sur la santé publique car ils prolongent l’exposition des patients à des « risques inconnus » (7) et, dans un éditorial du British Medical Journal, on a pu observer comment « even when manufacturers do eventually provide comprehensive clinical data, it can hardly be considered as ethically and clinically appropriate that patients and their doctors have been unaware of the benefit-risk profile of medicines they have been using for a long time – over seven years in some cases » (« même lorsque les fabricants finissent par fournir des données cliniques complètes, on peut difficilement considérer comme éthiquement et cliniquement approprié le fait que les patients et leurs médecins ignorent depuis longtemps – plus de sept ans dans certains cas – le profil bénéfices-risques des médicaments qu’ils utilisent ») (8) ;
4) enfin, nous pouvons aussi rappeler comment, à propos des vaccins à mRNA et à nanoparticules lipidiques choisies par Pfizer-BioNTech et par Moderna pour leurs vaccins, certains spécialistes en biotechnologies pharmaceutiques ont exprimé des préoccupations en raison des incertitudes liées aux effets de ces nanoparticules et souligné l’exigence de conduire à ce propos des études indépendantes en vue de vérifier la sécurité et l’efficacité à long terme (9).
La balance bénéfice/risque en question
La conséquence de ce que nous avons observé dans l’ensemble est la suivante : le vaccin anti-covid-19 est une forme d’expérimentation médicale sur les êtres humains. Le cas du vaccin anti-covid-19 AstraZeneca l’illustre de façon empirique et sans équivoque possible. En mars 2021, l’utilisation du vaccin AstraZeneca, alors qu’il avait été déjà administré à de nombreux citoyens européens, est interrompue en Italie et dans de nombreux autres pays européens à cause d’effets indésirables graves signalés à la suite de la vaccination (cf. le communiqué du 15 mars 2021 de l’Agence italienne du médicament). Quelques jours après l’interruption, un communiqué de l’Agence européenne des médicaments estime que les bénéfices du vaccin sont supérieurs aux risques, reconnaît le lien possible du vaccin avec des cas de thromboses associés à de faibles niveaux de plaquettes et signale que les informations sur le produit seront modifiées. Après le communiqué de l’Agence européenne des médicaments, en Italie (comme d’ailleurs dans d’autres pays européens) l’utilisation du vaccin AstraZeneca reprend, tout d’abord pour toutes les tranches d’âge (cf. la circulaire du 19 mars 2021 du ministère de la santé italien), par la suite uniquement pour les individus de plus de 60 ans, tandis qu’aux individus de moins de 60 ans vaccinés avec une première dose d’AstraZeneca on propose (tout d’abord obligatoirement, par la suite de préférence seulement) un vaccin à mRNA comme deuxième dose (cf. la circulaire du 11 juin 2021 et la circulaire du 18 juin 2021 du ministère de la santé italien).
Au passage, nous remarquons que le vaccin AstraZeneca n’a jamais été autorisé en Suisse car l’administration suisse compétente (Swissmedic) estime que les données disponibles ne permettent pas de prendre une décision positive sur le rapport risques/bénéfices dudit vaccin (cf. le communiqué de Swissmedic du 3 février 2021). Ce qui s’est passé avec le vaccin AstraZeneca serait inconcevable pour un médicament non expérimental et incompréhensible si nous ne nous trouvions pas dans le cadre d’une expérimentation médicale.
Enfin, au moment où ces lignes sont écrites, nous apprenons que la Suède, le Danemark et la Finlande ont interrompu l’utilisation du vaccin Moderna pour les individus les plus jeunes à cause du risque de myocardite.
Conclusion
Cet article n’exprime aucun jugement de valeur sur l’expérimentation médicale sur les êtres humains. En revanche, il affirme simplement que, d’un point de vue éthique et juridique, personne ne peut être obligé à se soumettre à une forme d’expérimentation médicale (et donc aussi à ces vaccins génétiques anti-covid-19) en l’absence d’un consentement libre et éclairé.
Cela est prescrit par tous les principaux textes qui ont règlementé l’expérimentation médicale et énoncé en la matière des principes acceptés au niveau international, à partir duCode de Nuremberg (1947),décalogue des dix principes en matière d’expérimentation médicale sur les êtres humains élaboré dans le cadre du procès de Nuremberg, en réaction aux expérimentations sur des individus non consentants faites par des médecins dans l’Allemagne nazie,dont le premier principe prescrit que pour conduire une expérimentation médicale admissible d’un point de vue éthique et légal : « Le consentement volontaire du sujet humain est absolument essentiel ». Et, comme l’affirment les juges, « cela veut dire que la personne concernée doit avoir la capacité légale de consentir ; qu’elle doit être placée en situation d’exercer un libre pouvoir de choix, sans intervention de quelque élément de force, de fraude, de contrainte, de supercherie, de duperie ou d’autres formes sournoises de contrainte ou de coercition ; et qu’elle doit avoir une connaissance et une compréhension suffisantes de ce que cela implique, de façon à lui permettre de prendre une décision éclairée» (10).
Plus proche de nous, je rappelle la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine (Oviedo, 1997), premier traité international approuvé en matière de bioéthique, qui, à l’article 5 « Règle générale », énonce : « Une intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée qu’après que la personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé. Cette personne reçoit préalablement une information adéquate quant au but et à la nature de l’intervention ainsi que quant à ses conséquences et ses risques. La personne concernée peut, à tout moment, librement retirer son consentement ». Le chapitre V de la Convention d’Oviedo, qui porte sur la « Recherche scientifique », établit nettement : « La recherche scientifique dans le domaine de la biologie et de la médecine s’exerce librement sous réserve des dispositions de la présente Convention et des autres dispositions juridiques qui assurent la protection de l’être humain » (Article 15 « Règle générale »). « Aucune recherche ne peut être entreprise sur une personne à moins que les conditions suivantes ne soient réunies : […] iv la personne se prêtant à une recherche est informée de ses droits et des garanties prévues par la loi pour sa protection ; v le consentement visé à l’article 5 a été donné expressément, spécifiquement et est consigné par écrit. Ce consentement peut, à tout moment, être librement retiré » (Article 16 « Protection des personnes se prêtant à une recherche ») (11).
La Convention d’Oviedo a été promue par le Conseil de l’Europe et, dans la Résolution 2361 du 27 janvier 2021, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a justement pris une position claire et nette concernant le vaccin anti-covid-19 et l’hypothèse de le rendre obligatoire.
Dans la Résolution, on peut lire : « L’Assemblée demande donc instamment aux États membres et à l’Union européenne : 7.3.1 de s’assurer que les citoyens et citoyennes sont informés que la vaccination n’est PAS obligatoire et que personne ne subit de pressions politiques, sociales ou autres pour se faire vacciner, s’il ou elle ne souhaite pas le faire personnellement ; 7.3.2 de veiller à ce que personne ne soit victime de discrimination pour ne pas avoir été vacciné, en raison de risques potentiels pour la santé ou pour ne pas vouloir se faire vacciner » et encore : « 7.5 en ce qui concerne la surveillance des effets à long terme des vaccins contre la covid-19 et de leur innocuité : […] 7.5.2 d’utiliser les certificats de vaccination uniquement dans le but désigné de surveiller l’efficacité du vaccin, les effets secondaires potentiels et les effets indésirables ».
La position du Conseil de l’Europe revêt une grande importance politique et juridique, non seulement à cause du rôle et de l’autorité de l’organe qui l’a exprimée, mais aussi car ladite position semble exprimer parfaitement, concernant le vaccin anti-covid-19, les principes énoncés dans la Convention d’Oviedo et, d’une façon plus générale, cet « esprit de liberté » qui caractérise la tradition politique et juridique contemporaine des sociétés européennes occidentales.
Même si actuellement, en France et en Italie, les gouvernements contraignent (avec des obligations directes et/ou indirectes) les citoyens à se soumettre au vaccin anti-covid-19, ceci reste une forme d’expérimentation médicale. Et, d’une façon plus générale, comme le souligne Philippe Segur (voir l’Episode 52 de cette enquête), « la pandémie de covid-19 a conduit les autorités sanitaires à autoriser une expérimentation vaccinale à grande échelle inédite dans l’histoire de la médecine », le tout pour répondre à une maladie (le Covid-19) qui ne représente ordinairement un réel danger que pour les personnes très âgées et/ou atteints de maladies préexistantes importantes.
Références
(1) Sur l’expérimentation médicale sur les êtres humains, même pour une ultérieure bibliographie, consulter au moins R. R. Faden, T. L. Beauchamp, A History and Theory of Informed Consent, Oxford University Press, New York-Oxford, 1986, p. 151 et s.; D. J. Rothman, Research, Human: Historical Aspects (1995) et K. F. Schaffner, Research Methodology. I. Conceptual Issues (1995, Revised by author) in S. G. Post (ed.), Encyclopedia of Bioethics, 3rd edition, Macmillan Reference USA, New York, 2004, p. 2316 et s. et p. 2326 et s.; A. V. Campbell, Bioethics: The Basics, Routledge, New York-London, 2013, p. 115 et s.; J. D. Moreno, D. Sisti, Biomedical Research Ethics: Landmark Cases, Scandals, and Conceptual Shifts, in J. D. Arras, E. Fenton, R. Kukla (eds.), The Routledge Companion to Bioethics, Routledge, New York-London, 2015, p. 185 et s.
(2) Dans le classique Principles of Biomedical Ethics Tom Beauchamp et James Childress estiment que l’expression « recherche thérapeutique » doit être utilisée avec précaution car « the term therapeutic research is potentially misleading because, when misunderstood, it draws attention away from the fact that research is being conducted » (T. L. Beauchamp, J. F. Childress, Principles of Biomedical Ethics, Seventh Edition, Oxford University Press, New York, 2013, p. 333).
(3) Voir P. U. Macneill, Regulating Experimentation in Research and Medical Practice, in H. Kuhse, P. Singer (eds.), A Companion to Bioethics, Second edition, Wiley-Blackwell, Oxford, 2009, p. 469.
(4) S. Pollo, Sperimentazione su esseri umani, in E. Lecaldano, Dizionario di bioetica, Laterza, Roma-Bari, 2002, p. 494.
(5) Dans le cas aussi du meilleur traitement disponible consolidé, il existe des risques pour la santé du patient, cependant non seulement il s’agit de risques connus, prévisibles et limités mais ledit meilleur traitement se caractérise par des « bénéfices » pour la santé du patient clairement considérés dans le secteur médical comme supérieurs aux « risques ».
(6) Voir R. R. Faden, T. L. Beauchamp, A History and Theory of Informed Consent, op. cit., p. 151-152.
(7) Comme l’observent L. T. Bloem, A. K. Mantel-Teeuwisse, H. G. M. Leufkens, et al., Postauthorization Changes to Specific Obligations of Conditionally Authorized Medicines in the European Union: A Retrospective Cohort Study, in Clinical Pharmacology & Therapeutics, 2019, p. 426 et p. 430-431.
(8) R. Banzi, C. Gerardi, V. Bertelè, S. Garattini, Conditional approval of medicines by the EMA, in British Medical Journal, 2017.
(9) Voir J. W. Ulm, Rapid response. Will covid-19 vaccines save lives? Current trials aren’t designed to tell us, in British Medical Journal, 2020 (21 December 2020); S. Tinari, The EMA covid-19 data leak, and what it tells us about mRNA instability, in British Medical Journal, 2021 (10 March 2021).
(10) Sur l’expérimentation médicale sur les êtres humains, nous pouvons au moins rappeler, non seulement le Code de Nuremberg, mais aussi la Déclaration de Helsinki (1964), élaborée par la World Medical Association, et le Rapport Belmont (1979), élaboré par une commission du gouvernement des Etats-Unis.
(11) La Convention d’Oviedo a force obligatoire sur le sol français (loi n. 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique). En Italie, la Convention a été ratifiée avec la loi n. 145 du 28 mars 2001, mais le processus de ratification n’a pas été achevé ; dans tous les cas la Convention peut et doit être utilisée comme instrument herméneutique, en ce sens que les sources internes italiennes doivent être interprétées d’une façon le plus possible conforme à la Convention (sur la valeur de la Convention d’Oviedo en Italie, cf. B. Conforti, Diritto internazionale, Editoriale Scientifica, Napoli, 2014, p. 357; A. A. Negroni, Il diritto al consenso informato nella Costituzione, in Id. (par), Il consenso informato tra bioetica e diritto, Vicolo del Pavone, Tortona, 2020, p. 107-109).